Proposée par
Le Conseil National Professionnel des Infirmier(e)s-Anesthésistes (CNPIA)

Paris, le 8 avril 2025

Madame, Monsieur les Rapporteurs,

Depuis de nombreuses années, le Sénat a su se montrer attentif et engagé aux côtés des infirmier(e)s anesthésistes diplômé(e)s d’État (IADE) dans leur démarche de reconnaissance en qualité de professionnels exerçant en pratique avancée. Lors de la séance publique du 14 février 2023, le sénateur Philippe Mouiller rappelait avec force cet engagement, soulignant la nécessité de reconnaître à leur juste valeur les compétences des IADE, et d’inscrire leur statut dans un cadre juridique à la hauteur de l’expertise qu’ils possèdent

1. Un engagement sénatorial constant sur le sujet

En 2023, le sénateur Mouiller, soutenu par ses collègues Frédérique Puissat et Jean-Jacques Panunzi, proposait d’intégrer les IADE dans la proposition de loi n°362 relative à l’évolution du métier infirmier.

L’objectif était clair : attribuer aux IADE un statut spécifique, pleinement intégré aux professions paramédicales exerçant en pratique avancée.

Malgré les limites imposées par l’article 40 de la Constitution, la volonté politique demeure forte sur ce sujet, comme le rappelait l’actuel Président de la Commission des Affaires sociales du Sénat :

« Les IADE, pionniers de l’exercice en autonomie supervisée, possèdent déjà le niveau de qualification requis pour une pratique avancée. Le manque de valorisation de leur profession compromet dangereusement leur attractivité et leur développement. »

3. Les IADE, une pratique avancée déjà en action, un potentiel pour l’avenir

Les Infirmier(e)s Anesthésistes Diplômé(e)s d’État incarnent un modèle reconnu de pratique avancée, tel que défini par les standards internationaux (Organisation mondiale de la santé, Conseil international des infirmières, Organisation de coopération et de développement économiques).

Leur formation, leur autonomie clinique, leur expertise technique et leur rôle décisionnel dans des contextes à haut risque (anesthésie, réanimation, urgence) s’inscrivent pleinement dans cette logique. La pratique des IADE, notamment l’autonomie clinique qui leur est attribuée, a souvent été citée comme précurseur de l’exercice en pratique avancée en France. Il est d’ailleurs nécessaire de souligner que la notion de diagnostic infirmier anesthésiste a été intégrée au champ d’exercice des IADE.

Les dernières normes internationales qui définissent l’exercice infirmier en pratique avancée montrent d’ailleurs l’adéquation de l’exercice et de la formation des IADE avec les critères et les indicateurs de ces référentiels.

L’analyse de l’offre de soins actuelle a mis en évidence des axes de progrès dans les champs d’activité ouverts à l’exercice des IADE (exemples non exhaustifs) :

  • Anesthésie et SSPI : sécurisation de l’acte anesthésique et libération de temps médical

  • Urgences pré hospitalières : transport inter hospitalier en autonomie de patient intubé/ventilé (TIIH) et sécurisation des procédures et gestes d’urgence en intervention primaire SMUR
  • Réanimation : fonction de major de soins, leadership clinique, réalisation de gestes techniques

  • Évaluation et traitement de la douleur : suivi de patients, éducation des patients, mise en œuvre d’interventions non pharmacologiques.

La contribution apportée par les IADE constitue un atout non négligeable dans les stratégies visant à aborder efficacement ces axes de progrès.

Ne pas reconnaître cette réalité revient à nier la contribution fondamentale qu’ils apportent à la qualité, à la sécurité du patient et à la continuité des soins dans les domaines d’activités ouvert à leur exercice.

En outre, les études prospectives réalisées en matière d’évolution des besoins de santé de la population montrent la nécessité de repenser notre offre de soins et le périmètre des professions de santé afin de relever les défis à venir (exemples non exhaustifs) :

  • Anesthésie et SSPI : augmentation des flux de patients, sortie de salle de réveil, traitement anticipé des complications, suivi des patients en soins péri opératoire.

  • Urgences pré hospitalières : réponse graduée de l’urgence pré hospitalière en autonomie complète.

  • Réanimation : leadership clinique, supervision et adaptation des thérapeutiques.

  • Évaluation et traitement de la douleur (renouvellement de prescription et introductions de traitement médicamenteux ou non.

En outre, les tensions internationales actuelles et les premiers enseignements dégagés du conflit ukrainien en matière de prise en charge des blessés de guerre incitent à renforcer notre dispositif opérationnel notamment dans le domaine de l’anesthésie et des soins critiques.

Reconnaître l’exercice en pratique avancée des IADE aurait ainsi pour effet d’accroître la capacité de notre pays à faire face efficacement à ces nouvelles menaces.

4. Adopter un modèle d’exercice en pratique avancée qui réponde aux besoins actuels et futurs de la population et du système de santé

Reconnaître plusieurs modèles de pratique avancée permettrait d’adapter les réponses aux réalités que les établissements de santé doivent et devront affronter: réanimation, bloc opératoire, périnatalité, soins critiques, urgences, etc.

Dans un contexte de pénurie médicale, de vieillissement de la population, de prévalence et d’incidence accrue des pathologies chroniques mais également de complexification des prises en charge, nous considérons que cette diversification est une nécessité stratégique.

De nombreux pays ont fait ce choix et ont pu en mesurer les effets positifs. Aux États-Unis, par exemple, l’exercice infirmier est décliné en quatre fonctions (diagramme 1).

Ces fonctions possèdent des caractères similaires, notamment en matière d’autonomie clinique et de haut niveau de maîtrise du raisonnement clinique, mais elles conservent également leurs spécificités.

Diagramme de la pratique avancée infirmière aux USA

Diagramme 1 : le modèle consensuel de l’exercice infirmier en pratique avancée américain

Forts de ces enseignements, nous souhaitons que notre modèle national puisse évoluer vers un modèle diversifié grâce à cette évolution législative (diagramme 2).

Diagramme souhaitable de la pratique avancée infirmière en France

Diagramme 2 : Proposition d’évolution du modèle français d’exercice en pratique avancée

Loin de menacer l’unité de la profession infirmière, cette reconnaissance pluraliste renforcerait la qualité de la prise en charge des patients, l’efficacité interprofessionnelle et les parcours professionnels

5. L’insuffisance du cadre actuel proposé par l’Article 2

Dans sa rédaction actuelle, l’article 2 du projet de loi est inadapté. Il ne sécurise aucune des professions concernées, introduit une confusion juridique et organisationnelle, et ignore la réalité des compétences déjà exercées par les IADE au quotidien. Il fragilise également la structuration actuelle du diplôme d’IPA et va à l’encontre des recommandations formulées par deux rapports (Trajectoires & Expertise) de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS).

Ces rapports, commandés par le ministre Olivier Véran, préconisent une reconnaissance en deux temps : valider d’abord l’exercice actuel des IADE en pratique avancée, avant d’ouvrir de nouvelles perspectives, notamment en médecine péri-opératoire.

Cette approche structurée et pragmatique, alignée sur les recommandations internationales, est aujourd’hui ignorée alors qu’elle répond parfaitement aux attentes des IADE.

6. Pourquoi une reconnaissance légale est indispensable aux IADE

Reconnaître légalement les IADE en tant que professionnels exerçant en pratique avancée permettrait :

• De stabiliser leur cadre d’exercice professionnel, en définissant clairement leurs compétences, responsabilités et périmètres d’action.
• De continuer à perfectionner la formation professionnalisante afin de l’adapter au mieux aux missions spécifiques des infirmiers anesthésistes, garantissant ainsi une meilleure correspondance avec les réalités cliniques.
• De valoriser leurs compétences et de renforcer leur place dans les équipes de soins.
• D’améliorer l’organisation des soins, grâce à une coopération interprofessionnelle reposant sur des bases explicites.
• D’assurer la lisibilité des missions pour les patients et les employeurs, et de renforcer l’attractivité de cette spécialité.

7. Recommandation finale

Le CNPIA s’associe pleinement à la volonté exprimée par le ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, de modifier l’article 2. Il appelle à une refonte en profondeur de cet article, afin d’y inscrire de manière explicite, distincte et pérenne la reconnaissance des IADE en tant que professionnels exerçant en pratique avancée.
Cette reconnaissance doit être portée au niveau législatif, intégrée de façon claire au Code de la santé publique, et articulée avec le maintien du décret encadrant leurs actes ainsi que du référentiel de formation actuellement mis en œuvre.

Conclusion

La reconnaissance de l’exercice des IADE en pratique avancée n’est ni une faveur ni une exception : c’est une mesure de santé publique étayée par des données probantes qui promeut la cohérence et la responsabilité. Dans un système de santé en pleine mutation, elle représente un levier stratégique majeur pour répondre efficacement aux besoins actuels et futurs de la population.

Nous vous remercions par avance pour l’attention portée à cette contribution, et nous tenons à votre disposition pour tout échange complémentaire sur ce sujet d’intérêt national.

Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs les Rapporteurs, l’expression de notre haute considération.

 

Christophe Debout

Président du CNPIA